Pourquoi AUX 2 TABLES? parce que l'homme ne vit pas que de pain....

jeudi 18 décembre 2014

La folie de Jonathan.

 
Temps de l’Avent, temps de l’attente. Voici une petite histoire pour patienter jusqu’à Noël. 
Un conte qui me plait bien, qui parle d’humilité, de simplicité, de cadeau et de béquilles (et les béquilles pour moi en ce moment c’est du concret !)

Un conte de Nil Guilllemette. 
Dessin de Anne-Marie Forest(dessin à la pierre noire)
Lorsque les bergers partirent pour Bethléem, le jeune Jonathan fut laissé derrière. Shimei avait expliqué avec une touche d’embarras dans la voix alors qu’il se préparait à partir en hâte. 
«Après tout, un de nous se doit de rester ici pour garder le troupeau ! » 

C’était vrai,… jusqu’à un certain point. Mais Jonathan savait bien que c’était seulement une partie de la vérité. 
La vraie raison pour le laisser seul avec les bêtes, c’était plutôt qu’il boitait. Même avec ses toutes nouvelles béquilles que lui avait fabriquées le menuisier Hamor, au prix de deux années d’économies, il aurait trouvé très difficile de suivre les autres bergers alors qu’ils dévaleraient les collines vers Bethléem, en vue de trouver le plus vite possible ce bébé dont les anges avaient parlé. 

Car, même si les nouvelles béquilles rendaient sa marche incomparablement plus facile et rapide qu’auparavant, il ne pourrait certainement pas aller au rythme de gens pressés. Il regarda ses béquilles et soupira. 
Maintenant que ses compagnons se hâtaient vers la Cité de David, il se sentit même plus seul que durant ses longues veilles avec les étoiles. Comme il aurait aimé se joindre à ses compagnons dans leur recherche de l’Enfant ! Non pas qu’il eut beaucoup à lui offrir, à ce bébé, comme cadeau de naissance. 
En tant qu’orphelin et infirme, il était sûrement le plus pauvre berger de toute la région. 
Alors que les autres pouvaient, au nouveau Roi, présenter des agneaux, des longueurs de laine ou des gâteaux de fromage de brebis, lui, il devrait se contenter de jouer un air sur sa flûte, ou bien simplement de demeurer là en adorant ce visage enveloppé dans des langes. Pourtant, même s’il n’avait aucun cadeau digne du divin Enfant, il ressentait une peine profonde à la pensée d’être laissé en marge par les siens. 
Jonathan soupira encore. Ce n’était pas facile de vivre une vie d’enfant infirme, une vie de berger infirme. Non pas qu’il fut battu ou maltraité par ses compagnons. Non, là n’était pas le problème. C’était juste que… somme toute, on lui donnait toujours les plus longues veilles la nuit, les plus chauds pâturages pendant le jour, les restes aux repas et ainsi de suite. 
Qui était-il pour protester ? Il boitait affreusement – un peu moins, tout de même, grâce à ses nouvelles béquilles! – et il y perdait toujours au change quand le clan décidait de migrer vers d’autres pâturages ou quand un loup attaquait sa section du troupeau. 
Pas étonnant que ses compagnons avaient développé l’habitude de le regarder de haut avec un mélange de pitié et une impatience mal déguisée...

Pendant un long moment le jeune berger lutta contre ces pensées déprimantes, dans l’attente du retour de ses compagnons, anxieux d’entendre la description de leur rencontre avec l’Enfant miraculeux. 

En patientant, il retourna à sa vieille habitude d’admirer les étoiles et leurs constellations familières. Comme tout berger de ce monde, il connaissait le ciel étoilé comme la paume de sa main et il pouvait identifier le moindre amas de corps célestes. Ainsi passa-t-il son temps, comme d’habitude, trouvant là une étrange sensation de paix et de sens dans la splendeur ordonnée du firmament.

À leur retour, les autres bergers racontèrent avec enthousiasme à Jonathan tout ce qu’ils avaient vu. En fait, la vue du bébé dans la mangeoire avait laissé un tel rayonnement d’admiration sur leurs visages que, sur le coup, Jonathan décida que lui aussi, sans plus tarder, partirait à la recherche du nouveau-né. Après tout, avec l’aide de ses nouvelles béquilles, il arriverait bien à trouver l’humble grotte et à revenir ensuite à son troupeau. 
Le brave garçon se lança en avant, animé par sa quête. Grâce aux indications très utiles données par l’aimable Gershom, un vieil homme qui avait toujours essayé de rendre la vie de Jonathan un peu plus supportable, le jeune berger avait confiance qu’il trouverait vite la grotte de la Nativité. 

Ah, comme il allait vite, maintenant qu’il avait ses nouvelles béquilles ! Fini de clopiner de façon grotesque, disparue la douleur à sa jambe difforme, oublié le pas qui traîne ! Pour la première fois, le jeune homme sentit qu’il allait aussi vite que le vent. Il allait son bonhomme de chemin, soutenu par la pensée d’arriver bientôt au but de sa démarche. 

Quand il arriva à la grotte, Jonathan y trouva de fait l’Enfant et ses parents. Mais, hélas, tous trois dormaient profondément, l’Enfant dans sa mangeoire et le jeune couple sur la paille répandue sur le sol de la grotte. Il était évident que la visite prolongée des bergers, après le long voyage de Nazareth, avait vraiment triomphé de leurs forces et ils étaient tombés, épuisés, dans un profond sommeil. 

Jonathan se régala tout de même de la beauté surnaturelle du bébé dans la crèche, s’assurant par ailleurs de ne faire aucun bruit de peur d’éveiller l’un ou l’autre des trois êtres qui étaient là devant lui. Et puis, après un long moment de contemplation amoureuse, il se retira avec peine, ayant bien conscience que ses compagnons bergers seraient fâchés s’il n’arrivait pas à temps pour préparer leur repas du matin. 
Néanmoins, puisque dans sa hâte de chercher l’Enfant il n’avait apporté aucun cadeau pour lui – d’ailleurs qu’aurait-il pu apporter, lui dont toutes les possessions terrestres se limitaient à ses deux béquilles – il se sentit mal à l’aise à la pensée de ne rien laisser comme preuve de son amour. 
Comment pouvait-il faire autrement ? Oui, il était vraiment le plus pauvre des pauvres! Aussi c’est avec un regret infini qu’il allait sortir de la grotte. 

Toutefois, tout juste comme il se tournait pour jeter un dernier regard vers le bébé de la crèche, il eut une inspiration soudaine. Comme une forte vague de joie inondait son cœur, il comprit avec certitude ce qu’il pourrait donner à son Seigneur et Sauveur. C’était un cadeau insultant, quelque chose d’apparemment bien stupide – certains diraient quelque chose de choquant qui pourrait être rejeté, considéré comme totalement déplacé pour l’occasion. Eh bien, quoiqu’il en soit, il prendrait ce risque…

Par conséquent, à l’heure la plus sombre de cette nuit bénie, Jonathan, le berger boiteux, clopina péniblement vers le pâturage qu’il avait laissé de l’autre côté de Bethléem, abandonnant ses béquilles neuves au pied de la crèche. 

C’était son cadeau au Messie nouveau-né. Tout au long de ce lent et pénible retour chez lui, une seule pensée revenait à son esprit : son cadeau insignifiant serait-il accepté par l’Enfant, en dépit de sa complète inutilité ? 

Comme il approchait de sa destination, le gamin remarqua qu’une excitation inhabituelle avait envahi le campement des bergers.
Dessin de Anne-Marie Forest(dessin à la pierre noire)

« Qu’est-ce qui arrive? », se demanda-t-il avec étonnement. Il vit alors un groupe d’hommes qui pointaient du doigt une région spécifique du ciel, quelque part entre les constellations du Verseau et du Bélier. Ils manifestaient beaucoup d’animation.
Jonathan, lui aussi, regarda dans cette direction, vers un ciel déjà marqué par la pâleur de l’aurore. Alors, comme il fouillait du regard l’endroit indiqué par ses compagnons, il remarqua bien vite une configuration nouvelle d’étoiles dans le ciel, une constellation qui semblait surgir de nulle part. Elle était formée de deux rangées parallèles de quatre étoiles disposées le long de deux lignes parfaites, comme deux bâtons de marche ou encore…
« Des béquilles ! » s’écria Reuben, qui était l’expert du clan pour ce qui regardait l’astronomie.
« Oui, cette nouvelle constellation ressemble parfaitement
à une paire de béquilles ! »
« C’est vrai ! », s’exclama avec excitation son fils Asahel.
« Ces étoiles ressemblent vraiment à des béquilles. Mais pourquoi sont-elles apparues ce soir ? Ont-elles un lien de quelque manière avec le bébé de la crèche que nous avons visité ? »
Jonathan ne dit rien : il venait de deviner la réponse à la
question d’Asahel, et la joie qu’il ressentait était vraiment
trop forte pour permettre à des mots de traverser ses lèvres. 
Vraiment, quand il vit les deux béquilles clairement tracées en lumière sur le fond du ciel de la nuit, il savait avec une parfaite certitude que, tout compte fait, sa folie avait été grande sagesse. Son cadeau avait été accueilli ! 

Trois jours plus tard, quand le garçon, après un sommeil particulièrement reposant, se réveilla et se leva, il découvrit tout ébahi qu’il ne boitait plus du tout! 


















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